Depuis combien de temps êtes-vous séparée du père de vos enfants ?
Ça fait une dizaine d’années. En réalité, j’aurais dû le quitter bien plus tôt.
Pourquoi?
Quand je l’ai connu, il buvait déjà pas mal. Je savais que ça ne s’arrangerait pas. En fait, ça a empiré. C’est pour ça que je suis partie. Il m’a juré qu’il allait changer mais il n’a pas réussi. Je suis née sourde, je sais ce que c’est que d’être confrontée à des obstacles. Je connais aussi la tentation de renoncer au combat. C’est une solution lâche et trop facile. Je me bats depuis toute petite contre ceux qui se moquaient de moi à l’école puis, plus tard, pour m’imposer dans le monde du travail. J’ai dû bosser deux fois plus, et encore aujourd’hui je suis confrontée à des difficultés parce que mon handicap est invisible. Il agace. Les gens n’aiment pas répéter et je les gêne avec mon élocution hésitante et sonore. Mais je m’en fous. C’est leur problème. Moi, j’ai réglé le mien. Je peux communiquer. Toutes ces épreuves m’ont peut-être trop endurcie. J’ai dû manquer de patience avec mon ex. J’attendais qu’il soit aussi volontaire que moi.
Comment avez-vous vécu cette séparation ?
On ne quitte pas facilement quelqu’un qu’on a beaucoup aimé. Mais, là, c’était une question de survie pour moi et mes gosses. Il me tapait dessus et je ne voulais pas qu’il s’en prenne à eux. J’ai déposé plainte pour qu’il y ait une trace datée. Ça lui a fait comme un électrochoc. Il est allé consulté un addictologue. De mon côté, j’ai harcelé la mairie pour avoir un logement social. J’avoue, j’ai un peu surjoué le handicap. Pendant six mois, j’ai vécu chez mes parents. Un enfer. Puis, j’ai eu ce coup de fil de la mairie pour un appartement. C’était en plein quartier chaud mais c’était chez moi.
Quelles ressources êtes-vous allée chercher pour maintenir le cap ?
J’ai fait un truc que je n’avais jamais fait : j’ai demandé de l’aide. J’ai toujours été habituée à me débrouiller toute seule mais là, entre le boulot, les enfants à aller chercher à l’école, l’organisation de la maison, l’administratif… Je n’y arrivais plus. J’ai trouvé une jeune fille dans l’immeuble qui a pu gérer les enfants après l’école. Elle était top. Elle préparait parfois le repas sans que je lui demande. Quand elle est partie dans le Sud pour ses études, j’étais au fond du trou mais elle m’a présenté une copine à elle qui, à son tour, a été super. J’ai aussi dû demander à mes parents un coup de main parce qu’avec mon handicap c’est compliqué d’avoir des conversations téléphoniques. Avec les administrations, j’ai préféré déléguer. C’était plus simple que mon père s’en occupe même si ça m’a coûté de devoir lui demander. J’ai toujours voulu montrer mon indépendance. Ma fierté en a pris un coup mais c’était salutaire.
Quelle période vous a semblé la plus compliquée ?
Quand Lola est entrée dans la phase active de l’adolescence, on a commencé à se chamailler. Elle avait honte de moi, de mon élocution. Elle ne voulait pas pratiquer la langue des signes en public. Alors elle ne me parlait pas en-dehors de la maison. Pablo, c’était le contraire. A la maison, il était dans son coin et à l’extérieur, il relâchait la pression, faisait l’andouille. Leur père n’était pas là pour imposer certaines limites. Quand il les prenait, il les gâtait pour se donner le beau rôle. J’étais toujours celle qui les ramenait à la vraie vie, aux devoirs, aux obligations… Et puis un jour, il a embarqué les enfants en voiture alors qu’il avait trop bu. Ils ont eu un accident. Ce n’était que de la tôle froissée mais Pablo ne voulait plus le voir. Mon ex est venu à la maison pour s’excuser et s’expliquer mais les enfants l’ont battu froid. Je lui ai fait la morale et l’ai supplié de reprendre une cure de désintoxication. Il m’a promis. Il est parti. Dans la nuit, il a fait une crise cardiaque. C’était il y a deux ans.
Comment allez-vous tous les trois depuis ?
Comme d’habitude, je suis montée sur le ring pour montrer à mes enfants comment gérer. Je voulais qu’ils expriment leur ressenti mais pas qu’ils se laissent submerger. C’était compliqué pour eux de se dire que les derniers échanges qu’ils avaient eu avec leur père étaient tendus. Lola avait l’air de s’en sortir, on échangeait beaucoup, mais Pablo dégringolait à l’école, rejeté par ses copains. Je l’ai emmené voir un psy. C’est là qu’on l’a diagnostiqué comme enfant précoce. Comme si j’avais besoin de ça en plus !
Vous ne baissez jamais les bras?
Je me l’interdis. Je fais du cardio et de la méditation pour évacuer les tensions et me recentrer. Ça m’aide. Et maintenant les enfants sont grands, ils participent beaucoup plus à la maison même si je dois encore leur rappeler de faire leur lit, d’aérer les chambres, de mettre la table… Mais c’est partout pareil non ?
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